VER-VERT PASSE A VOUVRAY

Paru en 1734, c’est un poème fameux dans la 2e moitié du 18e siècle et même après. Dans le Mémorial de Ste Hélène, Napoléon avoue l’aimer. On imagine l’Empereur, quand il n’avait pas une dame à trousser, prenant ces décasyllabes pour s’endormir. D’ailleurs, l’érotisme n’est pas absent dans ce long poème, mais pas où l’on croit.

 

C’est un poème de Jean-Baptiste Gresset (1709-1777), intitulé Ver-Vert ou les voyages du perroquet de Nevers. Les orthographes varient ; on trouve Vert-Vert et aussi Vair-Vert dans une édition pirate d’Amsterdam, faite sans doute par quelqu’un qui lisait trop les contes de Perrault. Il est vrai, c’est aussi un conte.

Il s’agit d’un perroquet très doué, hébergé chez les religieuses Visitandines de Nevers. Il sait parler latin et dire des prières (entre parenthèses, l’auteur, Jésuite à l’époque, se moquait un peu de la religion, non ? Il n’y voit que psittacisme.). Ver-Vert est célèbre, on vient l’écouter.

Jamais du mal il n'avoit eu l'idée,
Ne disoit onc un immodeste mot :
Mais en revanche, il sçavoit des cantiques,
Des oremus , des colloques mistiques,
Il disoit bien son benedicite

Les nones (orthographe de 1734) de Nevers l’aiment beaucoup, le gâtent, l’attirent dans leur cellule : chaque nuit il en choisit une différente. Sa célébrité atteint les Visitandines de Nantes. Elles aussi veulent … lui parler latin : il viendra en bateau, sur la Loire. La géographie nous dit qu’entre Nevers et Nantes il y a plusieurs grandes villes. Gresset n’en parle pas. Il y a aussi Vouvray, d’où la présence de ce billet ici.

Au long des chants de ce poème, si les lieux ne sont pas mentionnés, le voyage sur le fleuve entraîne un grand changement dans la langue employée par Ver-Vert. Dans la toue cabanée qu’il emprunte, il y a plusieurs personnes : des « nymphes » dont la (petite) vertu est tarifée, des bretteurs gascons, des soldats, un moine avec son tonneau (ce n’est pas de l’eau bénite) et des mariniers de Loire.

La même nef légère et vagabonde,
Qui voituroit le saint oiseau sur l'onde,
Portoit aussi, deux nymphes, trois dragons,
Une nourice, un moine, deux gascons :
Pour un enfant qui sort du monastère,
C'étoit échoir en dignes compagnons !
Aussi, Ver-Vert ignorant leurs façons,
Se trouva là, comme en terre étrangère ;
Nouvelle langue et nouvelles leçons.

Le latin de Ver-Vert n’a pas cours sur la toue, mais il apprend bien vite à parler comme les autres passagers. C’est là qu’est le vrai langage. Il passe bien là où l’on parle le meilleur français (Vouvray n’est pas si loin de l’Institut de Touraine) :

Du beau françois les brillantes finesses,
Les sons nerveux et les délicatesses.
A les apprendre il met donc tous ses soins,
Parlant très peu ; mais n'en pensant pas moins.

La Loire descendue, Ver-Vert arrive à Nantes, où il est attendu. Mais les religieuses sont vite « édifiées », horrifiées, par ce qu’il dit :

Il entonna tous les horribles mots
Qu'il avoit sçû rapporter des bateaux ;
Jurant, sacrant d' une voix dissolue,
Faisant passer tout l'enfer en revue, Les b. les f. voltigeoient sur son bec.
Les jeunes sœurs crurent qu'il parloit grec. Jour de dieu ! ... mor ! ... mille pipes de diables !
Toute la grille, à ces mots effroyables,
Tremble d'horreur ; les nonettes sans voix
Font, en fuyant, mille signes de croix :
Toutes, pensant être à la fin du monde

Ver-Vert est aussitôt renvoyé à Nevers. Sans doute par le même chemin ; Gresset ne dit rien sur ce voyage, pourtant difficultueux car il fallait remonter la Loire et cela prenait du temps. C’était évident pour l’auteur, il connaissait bien ces questions de navigation, vers 1730 il enseignait à Tours, après avoir travaillé à Blois.
Les religieuses de Nevers ont un problème. Elles votent ; Ver-Vert est puni :

On le condamne à deux mois d'abstinence,
Trois de retraite, et quatre de silence

Mais les sœurs sont pitoyables et elles décident de le rééduquer : lui faire oublier ce langage diabolique, lui apprendre à nouveau le latin et les textes saints. Ver-vert comprend que c’est son intérêt, l’auteur nous dit :

Il redevint plus dévôt qu’un chanoine

Certaines le gâtent en cachette. Cela précipite le dénouement de la comédie. Tragique : hélas, trois fois hélas, Ver-Vert meurt d’indigestion :

Mais de nos sœurs, ô largesse indiscrète !
Du sein des maux d'une longue diette,
Passant trop tôt dans des flots de douceurs,
Bourré de sucre, et brûlé de liqueurs,
Ver-Vert, tombant sur un tas de dragées,
En noirs cyprès vit ses roses changées.

En lançant votre ligne depuis la rive du fleuve, contemplez les remous de la Loire, pensez à ce perroquet qui est passé devant Moncontour, pensez à la liberté du langage.

[On lira Ver-Vert sur Gallica dans l’édition de 1735. On se renseignera sur Jean-Baptiste Gresset. Il est bien oublié aujourd’hui des manuels de littérature, mais il a sa rue à Amiens, où il est né et où il est mort. On se documentera sur la marine de Loire, en allant au musée de Châteauneuf ou en regardant leur site Internet http://www.musee-marinedeloire.fr/musee . Les illustrations du poème dans ce billet proviennent de l’édition de 1811, sur Gallica. La Bibliothèque Municipale de Vouvray a accueilli Ver-Vert pour une lecture à haute voix des cinq chants du poème le 13 mars 2009. ]

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