LES PROTESTANTS ET LE TRAVAIL DE LA SOIE EN TOURAINE
L'extrait suivant est tiré de l'ouvrage Religion et démographie : Les Protestants de Tours au XVIIe siècle, par Brigitte Maillard, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1983.
Au XVIIe siècle, sous le régime de l'Édit de Nantes, les trois provinces du Maine, de l'Anjou et de la Touraine, qui formaient aussi la généralité de Tours, constituaient une province synodale. Y vivaient environ 13 400 réformés, très faible partie (1% environ) de la population calviniste française qui, selon S. Mours, aurait atteint au maximum un million de personnes. Sans doute les réformés avaient-ils été plus nombreux dans la région au XVIe siècle, mais ils ne formaient plus désormais qu'une petite minorité dans la généralité, qui comptait environ 60 000 feux en 1690.
Leur répartition géographique accentuait encore l'impression de faiblesse numérique : plus de la moitié des protestants ligériens vivaient dans le "colloque" d'Angers (7 200), et tout spécialement à Saumur (peut-être 2 000 protestants au début du XVIIe siècle, beaucoup moins ensuite); le Maine en abritait un peu plus d'un cinquième (2 500) et le reste (3 700) se trouvait en Touraine. Ce dernier "colloque" ne correspondait ni à la province, ni à la circonscription administrative du même nom, puisqu'il englobait des églises comme celle de Montoire ou de Vendôme mais laissait en Poitou la grosse église réformée de Loudun (3 000 fidèles, deux ou trois pasteurs).
Les registres paroissiaux des protestants, tout comme ceux des catholiques, permettent d'étudier certains comportements démographiques des réformés tourangeaux au XVIIe siècle. Il s'agit d'un groupe restreint et homogène, en totalité urbain, comme le montre la liste des professions relevées dans les actes.
La lecture des actes de mariage des calvinistes tourangeaux laisse l'impression d'une homogénéité sociale qu'on ne peut trouver chez les catholiques. La liste des professions des garçons (45) qui se sont mariés à Tours ne comporte aucun paysan (même jardinier ou vigneron), aucun homme de peine, très peu de compagnons (cinq ouvriers en soie, deux texiers sur 216); les plus proches du monde rural sont deux maréchaux de forge habitant près de Tours, à Cormery, et qui sont père et fils. Par contre, les marchands (47), les maîtres-ouvriers en soie, les maîtres-passementiers l'emportent largement (31% de marchands, 29% de gens travaillant la soie). Les maîtres-orfèvres réformés dominaient nettement leur corps de métier puisqu'ils étaient 11 sur 18 en 1682; à cette date, les orfèvres catholiques cherchèrent à réduire cette prépondérance, mais bien que leur nombre ait augmenté, ils restèrent minoritaires jusqu'en 1685. Mais, comme à Lyon, les protestants ne contrôlaient qu'une forte minorité de la production de la soie, alors qu'à Nîmes, ils la dominaient largement. De nombreux protestants tourangeaux paraissent avoir été aisés; des marchands bourgeois, comme les Chardon, Soubzmain, Falaiseau possédaient de solides fortunes, avec un patrimoine foncier important comme à Nîmes. Les "hommes à talents" sont nombreux. La liste des métiers relevés dans les actes au premier mariage est la suivante :
- marchands bourgeois : 67
- maîtres-ouvriers en soie : 44
- maîtres-passementiers : 18
- ouvriers en soie et passementiers : 13
- maîtres-orfèvres : 11
- professions de santé : 13
- professions libérales : 9
- architectes, entrepreneurs : 3
- maîtres de métier : 22
- libraire : 1
- pasteurs : 3
- sieur de... : 5
- officier de l'armée du roi : 1
- texiers : 2
- maréchaux de forge : 2
L'étude des conséquences démographiques et économiques de l'Édit de Fontainebleau (1685, révocation de l'édit de Nantes) a donné lieu à de nombreuses discussions, mais, dès le XIXe siècle, on savait que Tours ne s'est pas alors vidée de sa population et que le départ des protestants n'est pas l'unique cause de la décadence de la manufacture de soierie. Sans doute, de nombreux réformés de la province synodale de Maine-Anjou-Touraine ont-ils émigré; ce n'était d'ailleurs pas une attitude nouvelle puisque dès le milieu du XVIe siècle, parmi les huguenots réfugiés à Strasbourg ou à Genève, les Tourangeaux, Angevins... sont nombreux et d'origine sociale et géographique variée, alors qu'il ne leur était pas très facile d'émigrer.
S. Mours estime que 60% au moins des protestants de cette province sont partis et que c'est un des pourcentages les plus forts enregistrés en France; mais cet exode a privé la région de moins de 10 000 habitants. Les plus nombreux se sont établis en Angleterre; d'autres se retrouvent en Hollande, en Allemagne (en particulier en Brandebourg) et quelques-uns se sont fixés en Caroline du Sud. Le rapport de 1698 estime qu'il serait resté à Tours environ 400 "nouveaux convertis", soit une centaine de familles, à la fin du XVIIe siècle.
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