SOIE

TRAITÉ DE L'ÉDUCATION DES VERS À SOIE AU JAPON

En 1868, année qui marque le début de l'ère Meiji au Japon (période qui symbolise la fin de la politique d'isolement volontaire et le début d'une politique de modernisation du Japon), le grand linguiste et éminent professeur Léon de Rosny (1837-1914) effectue la première traduction française du Traité de l'éducation des vers à soie au Japon, de Shirakawa. Léon de Rosny aborde plusieurs aspects de l'éducation des vers à soie et nous vous livrons ici un passage qui décrit les principales caractéristiques de la sériciculture japonaise. Il serait intéressant de savoir quelles étaient les techniques utilisées dans les magnaneries vouvrillonnes autrefois...

Page 146 de l'ouvrage et suivantes :

"Permettez-moi maintenant, Monsieur le Ministre, de vous présenter en peu de mots sur la sériciculture au Japon quelques observations recueillies dans les entretiens que j'ai eus à plusieurs reprises avec des agronomes japonais, et qui me semblent de nature à tenir une place utile dans ce Rapport.

La supériorité de l'art de la sériciculture au Japon est aujourd'hui généralement admise. Cette supériorité ne repose cependant ni sur l'étude intime de la physiologie des vers à soie, ni sur des expériences ou des observations microscopiques analogues à celles que la maladie des races européennes a provoquées dans tous les centres scientifiques de nos pays. Elle provient uniquement de la sage conservation des principes enseignés aux cultivateurs du Japon par une longue pratique, et de la mesure raisonnable avec laquelle ils entreprennent leurs éducations. Une culture intelligente du mûrier, une propreté de tous les instants, un élevage peu étendu et confié aux soins des membres seuls de la famille des paysans, voilà le principal secret de l'art séricicole chez les Japonais.

La bonne culture du mûrier préoccupe tout particulièrement l'attention des insulaires de l'Extrême-Orient. Quelques-uns d'entre eux, qui ont visité nos campagnes dans ces dernières années, ont blâmé notre méthode d'aménager ces arbres, et ils n'ont pas hésité à attribuer à cette méthode une partie des malheurs qui sont venus frapper, depuis quelques années, la généralité de nos magnaneries. Ils ont également critiqué notre manière d'arracher sur place la feuille du mûrier, au lieu de couper les branches entières, comme on le voit représenté sur la planche IX de ce volume. Le procédé qu'ils emploient a l'avantage de ne faire subir aux arbres qu'un petit nombre de plaies tranchées avec netteté et exposées sans obstacle à l'air libre pour se cicatriser. Ils considèrent aussi comme très utile de veiller à ce que l'air puisse librement circuler entre les branches émondées avec discernement et régularité. Enfin, ils attachent une attention toute particulière à rajeunir et à renouveler sans cesse les arbres, qui, à un âge avancé, donnent parfois, il est vrai, un feuillage plus large et en apparence plus vigoureux, mais plus aqueux et moins riche en matière sérigène que durant leurs jeunes années.

Planche IX : cueillette des feuilles du mûrier

Les ustensiles employés dans leurs magnaneries sont sans cesse nettoyés à grande eau et séchés avec soin. Jamais on ne touche à ces ustensiles sans s'être lavé les mains, et les vers ne sont changés de place qu'à l'aide de petits bâtonnets également propres et dont le maniement, un peu embarrassant lorsqu'on y est peu habitué, devient de la plus grande simplicité après un peu d'exercice.

Planche X : manière de couper les feuilles de mûrier

À côté de ces précautions, excessives peut-être, mais justifiés par les résultats obtenus, on n'en connaît pas de plus importantes au Japon que celles qui consistent à clairsemer sans cesse les vers et à opérer de continuelles sélections, tant pour réunir ceux qui sont à peu près de même grosseur que pour reléguer dans des casiers distincts ceux qui paraissent souffrants ou atteints de maladie.

Planche XIII : manière de donner les feuilles de mûrier aux vers à soie dans les provinces du Kantô

L'air fréquemment renouvelé est indispensable à la santé des vers. On doit donc éviter, dans les magnaneries, tout ce qui peut, non seulement le vicier, mais encore nuire à sa libre circulation. Le mode de construction des casiers où sont placés les plateaux de vers est, au Japon, essentiellement basé sur ce principe. Au lieu de casiers difficiles à changer de place et fabriqués en lourde menuiserie, les Japonais font usage de simples bambous, qui, adaptés à des crémaillères, suffisent pour soutenir les plateaux de graines, qu'on peut y placer plus ou moins haut, suivant les conditions du local et de l'atmosphère. On forme de la sorte des étagères extrêmement légères et d'un transport des plus faciles. Tous les ustensiles de la magnanerie sont d'un maniement aussi commode et rapide.

Le chauffage des magnaneries n'a lieu au Japon que lorsque la température exceptionnellement froide rend cette précaution absolument nécessaire. Lorsque le temps se maintient à la pluie, et qu'il en résulte une grande humidité dans l'intérieur du bâtiment, on fait encore un peu de feu. Mais, dans l'une et l'autre circonstance, le chauffage ne saurait être comparé à celui de nos poêles ou de nos calorifères. Il consiste seulement à entretenir allumés quelques charbons de bois dans des brasiers de bronze, en évitant qu'il ne s'en échappe de la fumée ou une odeur de quelque nature que ce soit.

Là se résument à peu près tous les mystères de la sériciculture japonaise."

 

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